Guinée : après la dissolution du gouvernement, quel avenir pour la transition ?
La Guinée prend-elle un virage autoritaire ? L’annonce, lundi 19 février, de la dissolution du gouvernement de transition pose la question alors que de multiples crises secouent le pays – et que le processus de transition semble au point mort, à 10 mois de l’échéance fixée par la Cédéao.
La Guinée est en suspens : depuis lundi 19 février, le pays est sans gouvernement. La dissolution a été annoncée par un décret laconique, lu par le général Amara Camara à la télévision nationale et diffusé sur les comptes officiels de la présidence de la République. Une décision qui suscite bien des interrogations dans une Guinée où les signaux d’alerte se multiplient depuis plusieurs mois.
Pour Boubacar Sanso Barry, administrateur du site d’information Ledjely.com, cette dissolution n’est pas vraiment une surprise : “Depuis des mois, le président lui-même se plaignait du gouvernement, de son manque d’efficacité, du fait que beaucoup de chantiers ouverts ne bénéficiaient pas d’un véritable suivi et du fait qu’il y avait une certaine méfiance entre les différents ministres et leurs collaborateurs directs…”
Selon lui, la goutte d’eau qui aurait fait déborder le vase gouvernemental serait un désaccord entre le ministre de la Justice et des Droits de l’homme, Alphonse Charles Wright, et le Premier ministre, Bernard Goumou. La décision du ministre de la Justice d’engager des poursuites contre les 34 directeurs des affaires financières (DAF) du pays, notamment ceux des établissements publics administratifs (EPA, rattachés à différents ministères, ces établissement sont à ce titre dotés de budgets et de subventions publiques ndlr), sans en informer le Premier ministre a généré un véritable feuilleton politique.
Entre courriers acerbes publiés dans les médias et conférences de presse interposées, ce dernier épisode semble avoir achevé d’épuiser la patience de Mamadi Doumbouya. “Le président devait nécessairement intervenir, arbitrer dans cette affaire”, estime Boubacar Sanso Barry. “Visiblement, il a décidé de faire plutôt le ménage”. Un ménage en profondeur donc, puisque le président de la transition a choisi de dissoudre son gouvernement plutôt que de procéder à un simple remaniement comme certains observateurs l’attendaient.
Table rase donc, et tour d’écrou puisque les ministres n’ont pas simplement été limogés : restitution forcée des véhicules de services, gardes du corps et aides de camp, confiscation des passeports et gel des comptes bancaires… “Ce sont des mesures identiques à celles qu’il avait prises à l’encontre des anciens ministres d’Alpha Condé”, rappelle Boubacar Sanso Barry. “Or, ces derniers temps, beaucoup disaient que la justice guinéenne faisait un peu “dans le sélectif”, qu’alors que les nouveaux dirigeants se rendent coupables des mêmes délits que les anciens, il n’y a pas de poursuites contre eux”.
Un moyen de rappeler à l’ordre les ministres et de réinjecter une dose de probité dans la vie politique guinéenne ? Possible. À condition que cette dissolution soit suivie par la formation d’un nouveau gouvernement où les militaires ne sont pas majoritaires. À condition que des poursuites soient engagées contre les ministres déchus et soupçonnés d’être mêlés à des affaires de malversation notamment. À condition que le gouvernement se penche sur la crise du carburant, sur le coût de la vie.
Possible aussi que cette dissolution soit une nouvelle étape dans le durcissement du régime guinéen. Depuis le coup d’État qui a destitué Alpha Condé et mis le général Mamadi Doumbouya au pouvoir le 5 septembre 2021, la Guinée avait multiplié les assurances que la transition serait rapide et placée sous le signe de la lutte contre la corruption.
Une façon de se démarquer du Mali, du Burkina Faso et du Niger, dont les gouvernements militaires sont eux aussi le fruit de putschs ? Le général Doumbouya avait même décliné l’offre de rejoindre l’Alliance des États du Sahel, et signé avec la Cédéao un chronogramme fixant à 24 mois la durée de la transition. Mais depuis quelques mois, les signaux d’alerte se multiplient dans le pays : interdiction de manifestations, répression de l’opposition, contrôle des médias, arrestations arbitraires de journalistes, blocage de l’accès à internet…
« Les violations du droit à la liberté d’expression sont désormais permanentes et s’ajoutent à celles du droit de réunion pacifique entre autres”, alertait Samira Daoud, directrice régionale du bureau d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, dans un rapport publié fin 2023. “Les autorités guinéennes ont choisi de tourner le dos aux droits les plus élémentaires garantis par le droit international, que la charte de la transition signée le 27 septembre 2021 par le chef de l’État prétendait pourtant défendre ».
Autant d’indicateurs inquiétants pour l’avenir d’une transition démocratique qui semble faire du sur-place. À dix mois de la fin de la période de transition, le plus grand flou règne.
Un faramineux budget de 600 millions de dollars a été établi pour financer ce processus, mais la provenance des fonds et la ventilation des dépenses restent, à ce jour, inconnues. Le calendrier suscite aussi des interrogations : les opérations de recensement de la population nécessaires à la tenue du scrutin ne sont toujours pas programmées et les modalités du référendum constitutionnel en vue d’une refondation de l’État restent inconnues.
Une transition démocratique en temps et en heure est-elle encore envisageable ? “Les signaux que nous avons jusqu’ici ne s’orientent pas vraiment dans ce sens-là”, reconnaît Boubacar Sanso Barry. La grève générale qui doit être annoncée jeudi pourrait être un électrochoc espère tout de même le journaliste : “Face à la réalité d’une crise, les dirigeants peuvent subitement retrouver la raison. Mais j’admets que c’est peut-être plus un vœu qu’une certitude. Pour le moment, tous les éléments mis bout à bout laissent plutôt penser qu’on va vers un durcissement”.
Jusqu’à présent, Mamadi Doumbouya a eu les coudées franches pour mener sa transition, là où d’autres pays de la région, eux aussi dirigés par des militaires, ont dû faire face à des réactions très négatives de la part de la communauté internationale.
Avec TV5monde