Monénembo/An 1 du CNRD : « Il ne reste rien de la confiance que le peuple avait placée en Doumbouya… » (Entretien)
Ce lundi 05 septembre 2022 marque le premier anniversaire de la prise du pouvoir par le Groupement des Forces Spéciales, mettant ainsi fin au 3ème mandat d’Alpha Condé.
Déjà, les guinéens ont tous une idée du bilan du Comité National du Rassemblement pour le Développement, dont le président avait tenu un discours teinté d’espoir dès le délogement de l’ex locataire de Sékhoutouréyah.
Tierno Monénembo, qui avait aspiré à un changement positif, ne reconnaît plus le Colonel Doumbouya et sa troupe.
Ce célèbre écrivain romancier guinéen, qui maîtrise parfaitement l’histoire du pays, peint complètement en noir, les 12 mois de gestion de la junte.
Thierno Saïdou Diallo, de son vrai nom, a affirmé à la faveur d’un entretien accordé aux journalistes, qu’il ne déplore guère le départ d’Alpha Condé, mais il regrette plutôt d’avoir applaudi le Colosse.
Journalistes: M. Tierno, un an après l’avènement du CNRD au pouvoir, est-ce que vous faites partie de ces guinéens qui estiment que l’espoir s’est volatilisé de manière progressive ?
Monénembo : Bien sûr que l’espoir se volatilise et pas de manière progressive. Tout cela est arrivé très vite. Il ne reste rien de la confiance que le peuple de Guinée avait placée en Doumbouya le 05 Septembre 2021. Aujourd’hui, tout le monde regrette Alpha Condé sauf moi. Je sais cela a une explication : le cercle infernal du désespoir. On regrette le pire d’hier parce qu’il est meilleur que le meilleur d’aujourd’hui. Doumbouya fait regretter Alpha Condé comme hier, Alpha Condé a fait regretter Sékouba Konaté qui a fait regretter Dadis Camara qui a fait regretter Lansana Conté qui a fait regretter Sékou Touré, qui a fait regretter le colonisateur.
La justice sera la boussole de la transition,
voici en quelque sorte l’engagement du Colonel Mamadi Doumbouya… Une année au pouvoir, pour quel bilan M. Monénembo ?
Le mot justice sonne mal dans la bouche de Mamadi Doumbouya. Voici un homme qui a expulsé Cellou Dalein Diallo et Sydia Touré de leurs domiciles sans tenir compte du recours que ceux-ci avaient interjeté auprès des tribunaux. Sans aucun doute, la plus belle manière de se foutre de la gueule des magistrats! Voici un homme qui a offert en catimini un exil doré (lire le récent article de Jeune Afrique ) à Alpha Condé, qui l’a illégalement soustrait donc de l’assemblée des justiciables et qui passe son temps à parler de corruption et de refondation de l’Etat, quel culot ! Après ça, que font Kassory Fofana, Mohamed Diané, Damaro et les autres en prison ? On ne peut pas parler de justice quand on libère le chef du gang et que l’on persécute les comparses. Et puis, Mamadi Doumbouya est un putschiste. Son pouvoir est illégal. Rien ne le donne droit d’arrêter ou de juger. Quant au bilan, il n’a qu’un seul nom: le cafouillage. D’ailleurs l’unique bilan que l’on attendait de cette catastrophique junte, c’était d’expédier les affaires courantes et d’organiser des élections régulières. On est loin du compte.
La mise en place de la CRIEF a été hautement saluée par les guinéens. A quoi cette haute juridiction a servi depuis sa création d’après vous ?
La CRIEF a servi les objectifs pour lesquels elle a été installée : nettoyer le terrain, neutraliser tous ceux qui peuvent gêner l’avènement de la terrible dictature que Mamadi Doumbouya est en train de préparer. C’est un tribunal d’exception, créé à l’emporte-pièce pour éliminer les adversaires potentiels de Doumbouya et semer la diversion. Le problème de la justice en Guinée est plus sérieux que ça. Il faudrait tout repenser, tout réorganiser, tout re-professionnaliser. Seul un gouvernement constitutionnel dispose de la légitimité, de la compétence et du temps qu’il faut pour s’attaquer à une œuvre d’une telle envergure. Des instances comme la CRIEF ne peuvent que reproduire les errements du passé : la vindicte, la ségrégation, les règlements de comptes.
Le CNRD, c’est toute une équipe, mais les membres connus restent encore minimes. De l’avis de certains observateurs, les guinéens ignorent encore qui sont ceux qui dirigent présentement le pays. Etes-vous confus à ce propos ?
Je l’ai déjà dit et répété ici : c’est une mafia qui nous gouverne. Comment appeler un gouvernement qui avance masqué ? Des dirigeants qui n’osent pas se montrer en plein jour sont des dirigeants qui ont des choses à cacher, des dirigeants extrêmement dangereux. Le comble, c’est ce que ce point capital ne semble préoccuper personne : ni les partis politiques, ni les syndicats, ni la société civile. Curieuse Guinée ! Partout ailleurs, on aurait demandé au CNRD de décliner son identité avant de prendre langue avec lui.
Vous n’avez cessé de regretter d’avoir acclamé l’éviction d’Alpha Condé par le GFS à sa tête le Colosse. A l’allure où vont les choses, pensez-vous donc que le retour à l’ordre constitutionnel pourrait se prolonger ?
Entendons-nous bien : je ne regrette pas l’éviction d’Alpha Condé. Je regrette d’avoir applaudi Mamadi Doumbouya. D’ailleurs, mes amis maliens qui ont une longue expérience des dictatures militaires m’avaient vivement condamné : « comment un homme comme toi peut-il acclamer un régime militaire ? Es-tu devenu fou ? »
Et je vous assure qu’il y a largement de quoi regretter. Cet homme a des réflexes despotiques qui ne laissent rien augurer de bon.
M. Tierno Monénembo, pour vous, est-ce possible de rectifier le tir dès maintenant ? Si oui quel message avez-vous à l’endroit de la junte ?
Une et une seule manière de rectifier le tir : le foutre dehors tout de suite et organiser le plus vite possible des élections libres et transparentes, bref de rendre le pouvoir au peuple de Guinée, le seul et unique propriétaire de ce pays.