Justice: Charles Wright à la barreUn fait historique (Abdoulaye Condé)

Poursuivi par les leaders du Front National de Défense de la Constitution de 2010 ( FNDC) pour « dénonciation calomnieuse, diffamation, publiques, injures, violence et voies de faits et abus d’autorité », le Ministre de Justice et des Droits de l’Homme, Garde des Sceaux, Alphonse Charles Wright a répondu présent, ce vendredi 24 juin 2023, à la convocation du Tribunal de Première Instance de Dixinn. Un fait notable dans l’histoire de la Guinée.

Théâtral ou non, et quelque soit l’issue de ce procès enclenché contre Alphonse Charles Wright, le simple fait que le Ministre de la Justice comparaisse devant une juridiction sous sa tutelle politique et administrative est forcément historique.
En effet, aussi loin qu’on remonte dans le temps, il est difficile sinon impossible de trouver dans l’histoire des Nations, un ministre en fonction convoqué par la justice de son pays, encore moins un ministre en charge de la Justice comparaître et répondre aux questions des membres d’une juridiction nationale.
Il est vrai que les Hommes d’état dans de nombreux pays du monde notamment dans les grandes démocraties ont été souvent confrontés à la Justice, mais, rarement sinon jamais, ils se sont soumis volontairement à l’exercice de la procédure judiciaire.
Aux États-Unis, le Président William Clinton dit Bill, c’est après avoir longtemps menti dans le scandale Monica Lewinsky ou « Monicagate », qu’il s’est vu contraint, le 17 août 1998, par le grand jury réuni au Tribunal de Washington de comparaître par visioconference devant lequel, il a finalement avoué avoir menti au peuple américain et qu’il a eu un « contact intime inapproprié » avec Mademoiselle Lewinsky.
En France, à chaque fois qu’un ministre a été indexé dans un scandale, il a cherché à résister d’abord avant d’être poussé, quand les preuves s’accumulent, à la démission par le Président de la République ou le Chef du gouvernement afin qu’il réponde à la Justice.
Ce fut le cas de Jérôme Cahuzac, ministre délégué auprès du ministre de l’économie et des finances chargé du budget du 16 mai 2012 au 19 mars 2013, date à laquelle il a été contraint à la démission sous la pression des révélations troublantes.
Le 21 décembre 2012, “Mediapart” révèlera que Jérôme Cahuzac a détenu jusqu’en 2010 un compte non déclaré à la banque UBS en Suisse. Après avoir longtemps menti et nié les faits, “les yeux dans les yeux”, le 2 avril 2013, l’homme politique passe aux aveux, l’ex ministre du budget de François Hollande se décide à passer aux aveux après avoir été accusé d’évasion fiscale le 4 décembre 2012 par le journal d’information en ligne Mediapart. En 2018, il est condamné en appel pour fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale à deux ans de prison ferme (peine aménagée en port d’un bracelet électronique) et deux ans avec sursis, cinq ans d’inéligibilité et 300 000 euros d’amende.
Comme Cahuzac, de nombreux ministres en France et en Europe mis en cause, ont toujours rejeté d’abord les accusations avant d’être rattrapés, démis, poursuivis et condamnés. C’est la situation du couple Balkany impliqué dans plusieurs affaires politico-financières, condamné en 1997 à deux ans d’inéligibilité pour prise illégale d’intérêts. À partir de 2013, Patrick Balkany avec son épouse et première adjointe, Isabelle Balkany, sont à nouveau poursuivis pour une affaire de déclarations mensongères de patrimoine et de blanchiment de fraudes fiscales. En 2019, ils sont condamnés à trois ans de prison ferme pour fraude fiscale, emprisonnés à la prison de la Santé, puis placés sous surveillance par un bracelet électronique cinq mois plus tard pour raisons de santé ; le jugement est confirmé en appel en 2020. Également condamné à dix ans d’inéligibilité, il est démis de son mandat de maire. Il est de nouveau incarcéré en février 2022 pour ne pas avoir respecté les contraintes de sa détention à domicile. Il est libéré en août 2022 après un second aménagement de peine.
L’ancien Président Nicolas Sarkozy, ami proche et grand mentor du couple Balkany, n’est pas non plus en état de grâce avec la Justice Française.
Retiré de la politique depuis 2016, Nicolas Sarkozy est mis en cause dans plusieurs dossiers judiciaires. Explications.
Il a été condamné en appel le 19 mai 2023 à trois ans de prison, dont un an ferme à purger sous bracelet électronique, pour corruption et trafic d’influence dans l’affaire dite des « écoutes », une première pour un président de la 5e République. Il s’est pourvu en cassation.
Dans un second procès concernant des dépenses excessives de campagne en 2012 révélées par l’affaire Bygmalion, l’ex-chef de l’Etat a été condamné le 30 septembre 2021 à un an de prison ferme pour financement illégal de sa campagne présidentielle. Il a également fait appel.
Nicolas Sarkozy est également mis en examen dans l’enquête sur des accusations de financement libyen de sa campagne 2007. Le 11 mai 2023, le parquet financier (PNF) a requis son renvoi devant le tribunal correctionnel, avec douze autres suspects. Un procès est demandé pour corruption passive, association de malfaiteurs, financement illégal de campagne électorale et recel de fonds publics libyens.
Aux États-Unis, l’ancien Président Donald Trump connaît de nombreux problèmes judiciaires en raison notamment de son rôle dans l’assaut du Capitole, de ses tentatives d’inverser le résultat de la présidentielle de 2020, d’accusations diverses de corruption ainsi que d’agressions sexuelles et de viols. Il est ainsi condamné pour agression sexuelle et diffamation sur la chroniqueuse E Jean Carroll en 2023. Au début de ce mois de juin, il a été mis en accusation par la justice fédérale américaine pour rétention de documents confidentiels et classifiés qu’il avait illégalement emportés avec lui en quittant la Maison Blanche en janvier 2021.
Dans tous ces cas évoqués au niveau des pays qualifiés de grande démocratie et de justice réellement indépendante, une constance demeure dans la défense des Hommes politiques ou d’état poursuivis : complot, harcèlement judiciaire initié, concocté par le Pouvoir en place ou les adversaires politiques. Jamais, ils ne se soumettent de gré. Donald Trump, après chaque convocation, anime un meeting pour incendier la justice, les juges et le Président Joe Biden.
En Afrique, il est généralement impossible pour la justice de s’attaquer à un Homme public d’état, à un Homme d’affaires à moins qu’ils ne soient en disgrâce ou après la chute d’un régime auquel ils ont appartenu comme c’est actuellement le cas pour les anciens compagnons du Président Alpha Condé.
C’est au regard de tout ce qui précède que l’acte de l’actuel du ministre de la Justice, Garde des Sceaux, ne peut passer inaperçu. Folklore ou non, l’histoire retiendra que le bouillant Alphonse Charles Wright ( qui me rappelle étrangement feu Abou Camara, son prédécesseur de plus de 20 ans) a été le premier ministre Guinéen sinon Africain à se faire juger étant en fonction.
C’est aussi conforme à son discours qui veut que la Justice, sous le CNRD, soit sans limite à la notable exception, bien entendu, ( CharlesWright à bien la tête sur les épaules) du Président du Conseil Supérieur de la Magistrature, le Colonel Mamadi Doumbouya, Président de la Transition, Chef de l’Etat, Chef Suprême des Armées.