CEDEAO : Une institution à réinventer
Des journées entières ne suffiraient pas pour énumérer les défauts de la Cedeao : son laxisme, sa gabegie, sa bureaucratie lourde et corrompue, son extrême lenteur à délibérer et à décider. Faudrait-il pour autant l’enterrer ?
Nous l’avons tous condamnée quand elle a tacitement avalisé l’inacceptable vague des troisièmes mandats qui s’est abattue sur la région. Nous l’avons tous fustigée pour avoir à plusieurs reprises regardé ailleurs quand des régimes pseudo-démocratiques emprisonnaient à tour de bras et inondaient nos caniveaux et nos rues du sang des innocents.
Ceci dit, notre déplorable organisation régionale n’est pas que gale et poux. A certains égards, elle présente plutôt bien. Elle a encore du ressort. (Ce serait insensé de jeter le bébé avec l’eau du bain). Elle peut encore servir. On peut encore l’amender, on peut la perfectionner. D’ailleurs, comparée à ses consœurs, elle est indiscutablement, la meilleure du continent. Elle a institué le passeport commun, l’assurance automobile commune. La libre circulation des personnes et des biens se passe sans anicroche. On peut logiquement envisager dans le moyen terme, un marché agricole commun, un visa touristique commun, une mutualisation rationnelle de l’eau et de l’électricité, et -pourquoi pas ? – des transports aériens et maritimes. Même des pays comme le Maroc et la Tunisie ont émis le souhait d’y adhérer, c’est dire !
Elle a ses défauts, la vieille dame d’Abuja, mais si elle n’est pas ange, elle n’est pas démon non plus. Si elle commet des fautes, elle n’a pas tort tous les jours que fait le bon dieu. Par exemple, elle est dans son droit quand elle condamne les putschs. Elle est dans son devoir quand elle sanctionne les fumistes et les aventuriers qui veulent s’imposer au pouvoir par la brutalité des armes. Ses sanctions sont légales, expressément mentionnées par son protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance.
Soyons honnêtes, la Cedeao n’est à l’origine d’aucun des maux dont souffre la région, ni de la misère, ni des rivalités des grandes puissances, ni du dérèglement climatique, encore moins du djihadisme. La Cedeao n’est pas une organisation terroriste, ce n’est pas un Etat non plus, à plus forte raison une puissance étrangère. C’est une convention établie d’un commun accord par l’ensemble des signataires. Sa charte et les différents additifs qui y ont été apportés engagent tous les pays de la région. Pour son honneur et pour sa crédibilité, chaque membre doit respecter ses règles comme chaque membre peut démissionner quand il le veut à condition toutefois de suivre à la lettre la procédure prévue par les textes.
C’est le b.a.-ba de la diplomatie !
Ce qui se passe en ce moment au Sahel serait- ce le chant du cygne, l’apothéose du nationalisme, le plus beau de nos hivernages, la floraison des idées qui nous font perdre la tête (développement, souveraineté, panafricanisme etc.), comme veulent nous le faire croire les agités du bocal ? Je ne le crois pas.
Le vieux chat échaudé que je suis ne craint pas que l’eau froide, il craint aussi les cathédrales de mensonges des professionnels de la démagogie. Personne ne me fera croire que le putsch est la solution. Personne ne me fera croire que ces militaires que l’on a déjà vus maintes fois à l’œuvre nous apporteront la paix, la sauce-gombo et la liberté. Personne ne me fera croire que ces bidasses qui se sont révélés incapables de repousser une bande de djihadistes pourront repousser et la misère et la dénomination étrangère et tous les autres fléaux qui nous écrasent.
Je suis vieux jeu peut-être mais je persiste à croire que le progrès est dans la démocratie, que l’Indépendance, la vraie, est dans le panafricanisme. Et le panafricanisme, c’est du sérieux, c’est de la grandeur d’âme, c’est de la hauteur de vue. Il ne repose pas sur la colère et sur le ressentiment. Il ne se gère pas par la désinvolture. Il ne consiste pas à démultiplier les institutions, mais à consolider celles qui existent déjà.
L’avenir est dans la Cedeao, nulle part ailleurs !
Tierno Monénembo